Courbe du deuil express : laissez faire le changement

Mûres sur la branche, à différents stades de mûrissementManager, c’est souvent agir : décider, gérer, écouter, cadrer, encourager, piloter… Pourtant parfois, la meilleure chose à faire serait de ne rien faire ! C’est le cas lors des mini courbes de deuil, ou courbes du changement express. Ce sont ces moments où nous intégrons un changement en passant par des émotions « négatives ». Avant d’intervenir, vérifions ce que donne la voie du Wu-Wei taoiste, qui n’est pas exactement ne pas agir, mais plutôt suivre le cours naturel.

Une courbe du deuil, c’est un processus d’intégration du changement qui passe par plusieurs étapes, généralement sur plusieurs semaines, plusieurs mois ou davantage. Mais parfois, ce processus s’opère en miniature, sur des petits sujets. Ces « courbes du deuil express », nous en connaissons tous. Vous savez, quand dans la même journée vous apprenez une nouvelle fâcheuse, et passez successivement par des états très différents du déni à la colère, puis la perte d’énergie et enfin le rebond.

Courbe du deuil en accéléré

Voici un exemple de courbe du deuil dans une journée :

En pleine rédaction d’un email très important et délicat, votre ordinateur a planté, et vous devez recommencer. Sur le coup vous cherchez à retrouver l’email perdu dans les limbes, puis vous piquez une colère contre l’informatique. Avant de vous résoudre à rédiger une nouvelle version de l’email… que vous jugez au final meilleure que la précédente ! Cet enchaînement est typique de la courbe du deuil avec les phases de déni, colère, tristesse, acceptation et finalement cadeau caché.

L’équipe intègre un changement de programme

Voici un autre exemple avec la réaction d’une équipe. Regardons dans l’ordre ce qui se passe.

Jérôme annonce à son équipe que le programme du séminaire de team-building est revu à la baisse. Adieu la journée « Escage game dans un château » avec le dîner à la bougie dans la salle des armes, la direction ayant réduit les budgets.
Réactions dans l’ordre :
1. « Oh non c’est pas possible on avait tout organisé… » « Je ne peux pas le croire »
C’est le déni.
2. « Ils ne peuvent pas nous faire ça ! », « c’est vraiment n’importe quoi », « ils sont dég… »
C’est la colère avec défoulement sur le(s) coupable(s)
3. « Je suis dégoûté », « ça me donne envie de ne plus rien faire », « c’est vraiment nul »
C’est la déception (de la famille de la tristesse), l’énergie retombe, l’équipe a pris conscience que le changement de plan était irrémédiable.
4. « De toute façon il était à 5h de route ce château » « On fera bien autre chose à la place, peut-être aussi bien »
Début de l’acceptation et de pardon, et début de quête de renouveau
5. « Alors que fait-on à la place ? » « Moi j’ai une idée… » « Et si on allait faire… »
Quête de sens et de renouveau. Au final surprise, c’est presque mieux qu’avant.
« C’est mieux que le château! » C’est gagné, l’équipe est contente, remotivée pour le séminaire team-building et vous, manager… n’avez rien fait pour ça !?

Laisser le changement se faire

Voilà où je veux en venir : dans ce processus, si vous cherchez à intervenir dans les premières étapes (déni, colère essentiellement) pour améliorer la situation, vous allez lutter et augmenter la résistance.

Est-ce bien utile ? Si l’enjeu était mineur pour l’équipe, le processus de deuil se fera de lui-même. Mieux, il aboutira à la génération d’idées et de motivations propres à ces personnes à qui vous laissez vivre d’elles-mêmes l’expérience.

Les réactions du début de courbe de changement sont trompeuses quand on n’identifie pas le processus à l’oeuvre. Elles peuvent nous induire en erreur et nous inciter à intervenir alors que ce n’est pas nécessaire.

D’autres exemples vécus :

– sur deux jours : un chef de projet refuse un nouveau projet (trop ambitieux pour lui), grogne, puis dit son appréhension de ne pas être à la hauteur. Le lendemain matin il en prend son parti (il a compris que ce projet lui était attribué pour de bon), il prend connaissance des documents, échange quelques messages avec le client, se rend compte que c’est intéressant et sans doute dans ses cordes. Finalement 24h après il est très content de travailler sur ce projet et ne le laisserait à d’autres pour rien au monde.

– sur une journée : Alan, directeur commercial, annonce à son équipe qu’ils ont perdu en finale d’un appel d’offres important. L’équipe a du mal à digérer la nouvelle – si près du but ! avec un dossier si abouti ! – et passe par la frustration puis une vraie déception. Quelques heures plus tard des collaborateurs de l’équipe commencent à envisager de reprendre des briques de la proposition technique de leur dossier finaliste, et de les proposer à d’autres clients. L’espoir renaît, et le travail fourni pour cet appel d’offres prend tout son sens.

Une courbe du changement aboutie se termine par bien mieux qu’une résignation ou un « tant pis » : elle mène à une énergie nouvelle. Ce serait dommage de s’en priver !

Conclusion :

Pour des changements mineurs, faites fi du réflexe interventionniste. Managers, reposez-vous (pour une fois) ! La sagesse dit : patience et laissez faire ce qui se fait tout seul sans vouloir l’accélérer. « On ne fait pas pousser les carottes plus vite en tirant dessus », dit-on. Une occasion de préserver votre énergie, voilà qui est écologique, et l’écologie du manager, c’est important.

Les grands changements en revanche nécessitent un accompagnement : changements encore non acceptés, ou changements qui posent un problème particulier.

Comment savoir s’il s’agit d’un changement mineur qu’il faut laisser se faire?
Bonne question. Observez le niveau des réactions et leur durée. Une colère intense pendant deux jours, c’est peut-être le signe que le changement n’est pas vécu comme isolé, mais catalyse d’autres peurs ou ressentiments.
exemples :
– c’est la 1e fois qu’un séminaire est annulé mais l’équipe attendait beaucoup de cette journée au château
=> être clair et laisser faire
– c’est la 3e fois qu’un séminaire alléchant est annulé au dernier moment, les équipes se demandent si la direction le fait exprès !
=> intervenir pour clarifier et débloquer le processus

Une précision :
L’utilisation en entreprise de la courbe du deuil d’Elisabeth Kübler-Ross fait débat, surtout après son utilisation, jugée abusive et dangereuse, par des consultants au sein du groupe France Telecom (voir les nombreux articles sur le sujet). Notez qu’il n’est dans cet article question que de changements à impact modéré pour les collaborateurs, et que nous n’employons le modèle qu’à des fins d’éclairage sur un processus individuel d’expérience du changement. En revanche bien sûr, dans les changements importants, tenir compte des réactions et leur apporter une réponse est capital !

 

A vous ! Auto coaching

  • Avez-vous déjà observé des courbes du deuil express dans vos équipes ?
  • Quels changements étaient en jeu ?
  • Etes-vous intervenu ou avez-vous laissé faire ?
  • Comment et dans quel délai le changement a-t-il été intégré ?

 
photo :lovestruck94 sur Flickr

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