La systémique

Oeil observant un objet complexe

Notre cercle de coach s’est réuni autour du thème de la systémique. Méthode ou courant de pensée ? Quelles clés pour l’accompagnement de l’individu ou du collectif ? Grégoire et Jean-Luc, tous deux coachs formés à l’approche systémique appliquée aux relations humaines, ont partagé leurs connaissances et le cercle s’est animé avec une passion certaine.

Rencontre du Cercle de coachs, lundi 14/01/2013 : « La systémique» – par Grégoire Jacquiau-Chamski et Jean-Luc Andrianarisoa

Participants : Edouard Stacke, Karine Aubry, Agnès Overli, Karine Soulebot, Nada Ghanem, Laure Galvez, Sylvie Tournier, Dominique Peterson, Angélique Bontemps, Thierry Pacaud, Céline Thiriet

Présenté par Grégoire Jacquiau-Chamski (GJC Consulting) et Jean-Luc Andrianarisoa (human.fr). Tous deux coachs, ils ont été formés à l’approche systémique et l’utilisent dans leur pratique. Grégoire a conçu et facilité plusieurs missions d’envergure en collaboration avec un coach systémicien expérimenté avant de compléter sa formation auprès de J.-A. Malarewicz, Jean-Luc s’est formé à l’Institut G. Bateson.

1 – Introduction

La systémique est un mode de pensée au même titre que la pensée analytique. C’est une approche qui dépasse largement le coaching et s’inscrit dans une causalité circulaire (et non linéaire comme le modèle analytique) qui lui permet de prendre en compte la complexité – d’où sa pertinence à notre époque. Il y a complexité quand j’ignore les limites de mon ignorance.

La systémique est une approche  singulière qui constitue en soi un paradigme et repose sur 4 principes fondamentaux :

1. Principe de totalité

La totalité excède la somme de ses parties. Analyse des interactions, intelligence collective etc., la systémique croit que le système n’est pas réductible à la somme de ses éléments contrairement à la pensée cartésienne qui cherche à le décomposer pour l’analyser.

2. Principe d’interaction

chaque élément du système peut agir sur les autres et sur l’ensemble.

3. Homéostasie

Le système cherche toujours à retrouver son équilibre antérieur quand il est modifié (d’où les résistances au changement).

4. Equifinalité

: un même résultat peut être obtenu par des voies différentes, tandis que des moyens similaires peuvent donner un résultat différent.

On peut définir le système comme un ensemble d’éléments en interaction en fonction d’un but. Une définition qui nous amène à différencier par exemple le groupe qui n’a pas forcément de finalité, de l’équipe.

“Les passagers d’un autobus ne forment pas une équipe ; ils peuvent le devenir si le bus tombe en panne.”
Jean-Paul Sartre (cité par Michel Giffard et Michel Moral dans Coaching d’équipe – Outils et pratiques, Armand Colin (2e ed.), 2010)

2 – Le coaching systémique

a – Principes du coaching systémique

L’Ecole de Palo Alto dit que l’on travaille sur la représentation des faits, non les faits eux-mêmes, et que l’on peut modifier cette représentation. C’est la “réalité de second ordre” (Paul Watzlawick). L’objet d’étude devient alors la relation qu’ entretient le client avec son problème (interprétation, jugements, règles) et non les faits (réalité de permier ordre : faits, expériences).

L’un des outils classiques de l’école de Palo Alto, c’est l’intervention paradoxale. Son principe : on ne s’intéresse pas tant à l’apparition du problème (ses causes) qu’à sa persistance :

Comment le problème fait-il pour persister ?

L’intervention paradoxale consiste alors à faire l’hypothèse que ce qui entretient le problème, ce sont les tentatives de solutions du client. Le problème, finalement, ce sont ces solutions inopérantes : “Toujours plus de la même chose” donne “toujours plus du même résultat” (Paul Watzlawick).

Le coach systémicien cherche alors à identifier avec son client le dénominateur ou vecteur commun à toutes ces solutions.

Le coach commencera par demander par exemple à son client ce qu’il a déjà essayé. L’objectif est de ne rien changer à ce stade. Le coach peut alors voir à l’oeuvre le système mis en place par son client, détecter les démarches alibi (faux changements), écouter les signaux faibles mais aussi les ressources du client et observer la logique du système.

b – Outils de l’approche systémique et coaching systémique

Parmi les outils de l’approche systémique, citons :

– l’observation : regarder le système fonctionner sans interpréter et avec une logique inclusive. L’observateur fait partie du système : il n’est pas neutre.

– le recadrage qui consiste à « changer le point de vue perceptuel, conceptuel et :ou émotionnel à travers lequel une situation donnée est perçue pour la déplacer dans un autre cadre qui s’adapte aussi bien et même mieux aux « faits » concrets de la situation et qui va en changer toute la signification » (Paul Watzlawick)

– la modélisation et les représentations graphiques pour porter attention à l’écologie humaine : schéma du système, de ses interactions et du cadre pertinent pour saisir la logique du problème dans son contexte.

3 – Trois axiomes du coach systémique

Grégoire et Jean-Luc nous proposent de partager de façon subjective et non exhaustive 3 axiomes systémiques qui leur sont particulièrement utiles dans leur propre interventions de type coaching individuel et d’équipe.

a – Surtout ne rien changer !

C’est une posture du coach systémicien, qui commence par proposer de ne rien changer et d’observer pour identifier le fonctionnement du système et toutes les bonnes raisons qui font que les choses n’ont pas changé jusqu’à aujourd’hui. C’est ce qu’on appelle faire alliance avec le système (par opposition à l’empathie avec le client dans la plupart des autres approches).

Un frein à cette posture peut résider dans le besoin du coach de faire reconnaître sa propre compétence d’accompagnant. Le coach systémique a donc besoin d’une vraie posture basse (celle de celui qui ne sait pas), et de se sentir une légitimité inconditionnelle (n’avoir rien à prouver).

b – Le client est l’expert de son problème

Le client a réussi jusqu’ici à maintenir son problème entier, et il est essentiel de se rappeler que tout problème est aussi une solution à autre chose et a (ou a eu) une vraie utilité.

La logique classique voudrait qu’on combatte les symptômes et les résistances pour éliminer le problème. Or l’approche systémique propose au contraire de s’appuyer sur une logique paradoxale qui prend le contre-pied de ce bon sens. Car plus le client craint l’apparition du symptôme, plus il le combat et plus il va la produire (sorte de prophétie auto-réalisatrice). La solution paradoxale consiste donc à prescrire au client… précisément le symptôme qu’il cherche à éliminer !

Françoise Kourilsky dans Du Désir au plaisir de changer (Dunod, 2008, 4e ed) donne de nombreux exemples de ces prescriptions paradoxales qui peuvent être prodiguées avec humour et bienveillance et permet au client de prendre conscience que sa façon de maintenir le problème repose sur de réelles ressources. Ainsi, un employé « paresseux » peut également être vu comme quelqu’un qui sera un formidable pourvoyeur de solutions de simplification ; ou encore une adolescente entêtée peut être vue comme une femme qui ne se laissera pas faire dans la vie car elle sait ce qu’elle veut !

Avec malice, J.A. Malarewicz, coach systémicien, propose comme exercice à ses clients d’identifier les “10 merveilleuses choses que j’ai mises en place pour échouer”, plaçant ainsi le client comme le meilleur expert de son problème.

c – La modélisation comme outil de changement

Pour comprendre l’écologie du système, il faut faire alliance avec lui et identifier les alliés et les opposants au changement :

  • Qui a intérêt à ce que la situation change ?
  • Qui risque de s’arranger pour qu’elle ne change pas ?
  • Quels sont les différents intérêts en jeu et les acteurs concernés par le changement ?

Identifier le bénéfice caché de la situation présente est important, pas seulement au niveau du client, mais dans tout le système dont il fait partie (équipe, département, entreprise, famille…). C’est une façon d’aborder la logique écologique du système et de prendre en compte sa finalité (ce qui guide ses principes de préservation).

Le coach peut utiliser les schémas pour faire un mapping : alliés, opposants, neutres ; quels rapports de pouvoir entre qui et qui, qui décide, qui a intérêt à, qui est pour, contre…

Une telle analyse complète de la situation (alliance avec le système) est nécessaire pour comprendre en quoi le système… n’a pas intérêt à changer ! (principe d’homéostasie).

Il identifiera ainsi toutes les bonnes raisons qui font que le système ne veut pas changer.

On retiendra également que le coach lui-même doit être vigilant sur sa propre intention et bien concevoir le cadre de son intervention afin de déjouer les petites manipulations du système dans lesquelles il est inévitablement pris (cf. par exemple certaines situations de coaching où le coach agit pour un prescripteur tiers, dans un contrat tripartite).

L’alliance dans le coaching

Pour finir, nos deux coachs ont évoqué le concept d’alliance (coaching de système) avec la nécessité de bien distinguer la confiance de l’alliance dans tout début d’intervention.

Comment favoriser une relation de confiance pour faire accepter au client de nous suivre dans sa zone d’inconfort ?

Avec qui par ailleurs faut-il absolument faire alliance dans le système? (le sponsor du projet par ex., dont il faut connaître les attentes).

Et comment se positionne chacun (équipe) : est-il dans le projet ou n’y est-il pas ? Sans l’alliance il est probable qu’il ne se passera rien…

C’est pourquoi il est nécessaire en amont de toute intervention sur le système de faire expliciter les intérêts de chacun à ce que ça change et comme le dirait Françoise Kourilsky, à donner envie à chacun de participer au changement. En cela, la question “What’s good in it for you ?” permet dans un premier tour de table de favoriser l’inclusion de chacun dans le projet.

Vaste sujet que l’approche systémique ! Passionnant, complexe, déroutant et extrêmement efficace, le modèle systémique est un véritable état d’esprit qui ne s’acquiert pas en une conférence ni en un an. C’est une véritable entraînement – une hygiène diront les puristes – qui demande d’accepter de remettre en question… beaucoup de bon sens ! Les livres de vulgarisation de Paul Watzlawick ou Du Désir au plaisir de changer de Françoise Kourilsky constituent une très belle entrée en matière pour tous ceux qui souhaitent aller plus loin.

Synthèse par Karine Aubry avec la collaboration de Grégoire Jacquiau-Chamski et Jean-Luc Andrianarisoa.

Vous souhaitez découvrir davantage cette approche ?
Le livre et les ateliers « Essaye encore ! » sont faits pour vous !

Prolonger : Lectures

Sur la complexité :

Ouvrages d’Edgar Morin
Ouvrages de Jean-Louis Le Moigne
le Macroscope, de Joël de Rosnay
le Paradigme holographique, de Ken Wilber

Sur l’approche systémique :

Manager par l’approche systémique, de Dominique Bériot
Françoise Kourilsky, Du Désir au plaisir de changer, Dunod, 2008, 4e ed
Michel Giffard et Michel Moral, Coaching d’équipe – Outils et pratiques, Armand Colin 2010, 2e ed,

 Sur la modélisation :

L’entreprise en mouvement, de Benoît Grouard et Francis Meston

6 Commentaires

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    • Erhard sur 28 juin 2016 à 10 h 04 min
    • Répondre

    Comment distinguer le problème des symptôme en systémique?

    • Olivier Parent sur 28 mai 2013 à 13 h 28 min
    • Répondre

    Bonjour,

    Article intéressant, mais avec Jean-Luc, cela ne me parait guère surprenant.

    Petite remarque cependant sur le 3 a – ne rien changer.
    Observer et ne pas « vouloir » changer, n’est pas typique de l’approche systémique. En psychanalyse on n’a pas non plus l’intention d’agir directement pour changer et pourtant les approches ne sont pas les mêmes du tout.

    Par cette posture je dirais plutôt que tout système ayant un point d’équilibre, nous savons qu’induire un changement va provoquer naturellement une résistance. Du coup notre posture de ne rien changer est stratégique mais bien dans l’objectif de créer un changement.
    Nous essayons d’induire un changement de niveau logique qui rendra impossible la résistance car le système aura changer. Nous freinons le changement, prônons l’immobilisme (dans certains cas seulement car c’est une stratégie paradoxale), pour le provoquer.

    Cependant Malarewicz et l’iGB n’ont pas la même vision de l’approche systémique.

    De même que pour la position basse exprimé, il ne faut pas confondre qu’il s’agit, dans le cas de l’IGB, de Palo-Alto et du CTS (Nardonne, Italie) dune position basse sur la relation : le patient-client connaît mieux que nous son contexte. Par contre nous restons en position haute sur le cadre, c’est à dire la direction du coaching ou de la thérapie.
    Les dernières études ont d’ailleurs montrées que pour certaines typologies, il faut aussi avoir une position d’expert, position haute, dans la relation aussi.

    Concernant le livre de Dany Gerbinet, c’est un homme vraiment très doué pour intégrer la pensée de Bateson et la systémique. À lire sans modération.

    Je vous conseil aussi « L’homme Relationnel » de Jean-Jacques Wittezaele.

  1. Merci à tous de vos commentaires, ce sont Grégoire et Jean-Luc qu’il faut remercier pour ce qu’ils nous ont ainsi apporté !

    Je vais faire connaissance avec D. Gerbinet, que je ne connais pas (merci de l’info).

    • carolinas sur 6 mars 2013 à 10 h 45 min
    • Répondre

    Tres belle explication claire des principes de la systémique
    Bravo

    • de angelis sur 5 mars 2013 à 17 h 10 min
    • Répondre

    Bonjour,

    Je trouve que cet article résume bien l’approche systémique Palo Altienne
    je rajouterai au livre familiarisant l’approche : le barons chez les psy de D.GERBINET que je trouve très accessible et modèlisant

    • Carine sur 27 février 2013 à 20 h 21 min
    • Répondre

    Bonjour

    quand on lit l’ouvrage de F Kourilsky, et qu’on est pas coach (il faut de tout pour faire un monde ;) )on se rend compte de ce que la systémique peut apporter au management au quotidien.
    Effectivement, il y a la prise de conscience des « solutions inopérantes ». Il y a aussi le passage par l’expérimentation plutôt que par l’argumentation pour amorcer un changement. Le bouquin est une mine d’or.

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