Ce n’est pas le problème !

Einstein pose une équationL’une des choses que le coaching nous apprend, c’est l’importance de bien définir le problème avant de chercher des solutions. Combien de fois nous précipitons-nous pour trouver des solutions à un problème… alors que ce n’est pas le problème ? Poser le vrai problème requiert patience, lucidité, questionnement, ouverture, élargissement du cadre de référence. Ainsi qu’un recul dont nous faisons parfois l’économie, pris par l’urgence de trouver une solution.

Albert Einstein a dit :

If I had an hour to save the world,
I would spend 59 minutes defining the problem and one minute finding solutions.
Si j’avais une heure pour sauver le monde,
je passerais 59 minutes à définir le problème et une minute à trouver des solutions.

Que nous dit Einstein ? Que la résolution d’un problème est presque un jeu d’enfants quand le problème est bien posé… ce qui, à l’inverse, est souvent une opération complexe.

Les coachs ont (en principe) ce souci de bien définir le problème avant de passer en mode solution. Cette démarche implique de résister soi-même à l’envie de résoudre le problème tel qu’il se présente (c’est la posture du coach, non interventionniste), et d’aider son client à prendre du recul au lieu de chercher à agir tout de suite en posant des solutions.

Cela peut grandement simplifier la recherche de solution, éviter de partir sur des solutions inadéquates (et éventuellement coûteuses).

Un exemple :

Une entreprise souhaite depuis un an vendre ses produits à un marché qui est nouveau pour elle : le secteur bancaire. Mais ses commerciaux ne parviennent pas à décrocher des rendez-vous fructueux. Le DG embauche alors un commercial spécialiste du secteur bancaire, qui commence aussitôt à prospecter grâce à son carnet d’adresses fourni. Quelques mois plus tard, le directeur général constate que le commercial a du mal à développer les affaires sur ce marché, et il prend conscience que le problème n’était pas au niveau commercial mais surtout au niveau marketing : les produits et la marque ne sont pas positionnés pour le secteur bancaire, un travail de marketing est à faire avant d’aborder ce secteur.

Autre exemple :

Il ressort d’un audit que les différents services d’une entreprise de services se connaissent mal, et que l’information ne circule pas. La direction générale décide d’organiser un séminaire de « team building » à la campagne pour créer du lien. Les employés passent une journée plaisante, se prêtent volontiers aux animations sportives et ludiques. Seulement, de retour au travail, rien ne change : l’information circule toujours aussi mal entre les services. Et pour cause : le problème n’est pas dans le lien entre les hommes, mais dans leur compréhension de leurs rôles respectifs au sein de la structure et de la manière dont ils gagnent à travailler ensemble.

Un dernier :

Luc est insatisfait de son poste, il se dit mal considéré, il n’y a qu’à voir son salaire ! Son manager accepte de l’augmenter en pensant avoir la paix. Pourtant Luc continue à revendiquer une évolution. Son besoin n’est pas tant une augmentation de salaire, qu’une reconnaissance de sa valeur au travers d’un statut supérieur : chef de projet depuis des années, il aimerait être nommé chef de pôle ou directeur de projet.
>> Lire : Reconnaissance au travail : le grand malentendu ? (2)

On le voit, le réflexe dans les organisations est de résoudre les problèmes dès qu’ils se présentent, sans toujours les mettre en perspective avec d’autres problématiques, dans un ensemble complexe. La tendance est à voir une cause unique à chaque problème.
>> Lire :  Complexité & solutions multifactorielles

Pourquoi cette attirance pour la solution ?

Peut-être pour se débarrasser du problème. C’est humain, nous sommes souvent mal à l’aise avec les difficultés, nous sommes programmés pour les résoudre. Les dirigeants et managers aiment avoir dans les équipes des « Monsieur Solution » (ou « Madame Solution ».)

Quelques croyances associées à cette vision du monde :
« Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ».
« Il y a toujours une solution. »
« Chaque problème a sa solution. » (Entendez ici encore l’idée d’une seule cause à chaque problème).

Pour sentir chez l’autre cette attirance pour le mode solution, rappelez-vous la dernière fois que vous avez confié un problème à  un proche et qu’aussitôt, il vous a répondu par des suggestions :

« Tu as essayé de faire …? », « Tu pourrais faire ça… »

Et vous, agacé(e), de lui répondre

« Oui mais… ça ne servira à rien, parce que… » ou bien « Ce n’est pas le problème, le problème c’est… »

Ce qu’il est facile de voir chez notre interlocuteur, nous y sommes souvent aveugle, d’où le rôle du coach qui éclaire le tableau et accompagne son client dans la définition du problème. Nous assistons la plupart du temps, en coaching,  à un déplacement du problème au fil de l’entretien !
Exemple :
– problème initial : « Mon équipe ne m’écoute pas, ils sont rebels, je n’arrive pas à être suivi. »
– qui devient au bout d’une heure : « Je ne me sens pas légitime à ce poste de manager, ma direction me sur-estime et a fait une erreur en me nommant manager. »

Comment vérifier qu’on est sur le bon problème ?

La première chose, c’est de se poser la question : est-ce le bon problème ? Le résoudre va-t-il apporter un résultat satisfaisant (pour moi, pour l’organisation…) Simple question, mais qui n’est pas notre premier réflexe face à un problème.

Il s’agit de sortir d’un mode automatique, fait d’associations causales et de boucs émissaires symboliques ou incarnés :
a) Mauvaise ambiance <=  équipe disparate, Solution = team building
b) Baisse des ventes <= commerciaux en sous-effectif, Solution = renforcer l’équipe commerciale

Sortir de l’automatique, c’est aussi penser complexe : un problème n’a pas une cause unique.
> Lire : Complexité & solutions multifactorielles

Cela demande de chercher, de questionner, de vérifier, d’éliminer les fausses pistes : tout un travail de diagnostic.
D’où l’idée de recul et de prendre du temps, en perdre pour en gagner, c’est l’idée des 59 minutes d’Einstein.

Comment savons-nous que nous sommes arrivé à une bonne définition du problème ?
Le ressenti peut nous aider, l’intuition nous guider. Quand le problème est bien posé, nous avons une  sensation de clarté, de vérité, un voix intérieure qui dit « c’est ça le problème ! »

Côté coach, c’est l’attitude du coaché et ses mots qui indiquent qu’il est arrivé sur le bon problème : « au fond, le problème c’est… », « finalement le vrai problème c’est que… », des formules qui parlent de l’atteinte d’un point essentiel de la problématique. Peut-être que dans certains cas, une part de courage est nécessaire pour voir le problème en face et cesser une politique de l’autruche.

Analyse, diagnostic, recul faut-il donc toujours suspendre l’action pour trouver le bon problème et sa (bonne) solution ?

Parfois le mode solution permet de valider ou d’invalider le problème posé :  essayer une solution nous éclaire sur la définition du problème.
A défaut de pouvoir en faire la simulation dans sa tête, nous pouvons… essayer la solution !

Ex : j’engage 2 commerciaux seniors en plus, les ventes continuent de baisser, le problème n’était pas dans l’effectif commercial.

Parfois en coaching nous assistons à ces essais-erreurs dans lesquels notre client apprend sur son problème. Ce n’est qu’en mettant en oeuvre une solution imaginée, qu’il se rend compte qu’elle ne résout pas le problème.

Ex : un dirigeant veut résoudre sa peur de parler en public, il choisit d’essayer d’apprendre des techniques d’acteur dans un stage. L’expérience lui plait après plusieurs essais dans la « vraie vie » son problème reste entier, il craint le regard des autres et a peur d’être démasqué derrière son apparente technique.

Bien sûr, la question du coût de la solution à tester est à considérer pour la personne comme pour l’organisation.

Dernière piste, dans les équipes et les organisations : l’écoute. Chacun ayant sa vision de la situation, poser le problème ensemble offre la possibilité d’entendre des points de vue différents dont certains qui expriment que « ce n’est pas le problème! »

L’intelligence collective s’avère précieuse tant pour l’analyse et le partage de connaissances au moment de définir le problème, que pour la créativité dans la recherche de solutions.

En complément :

Are You Solving The Right Problem ? Harvard Business Review

8 Commentaires

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    • KIRAMIRANA Eric sur 8 juin 2017 à 1 h 21 min
    • Répondre

    Il n’est jamais de réagir en Sciences. Je trouve cet article très intéressant et avec un aspect d’adaptabilité fonctionnelle. Cet état d’analyse demande avec intérêt plus de concentration pour creuser les vraies proches que lointaine.

    Alors comment cette aproche peut apporter une contribution dans le domaine de la sécurité, surtout le coaching » stratégiquement et systèmiquement? ».

    Merci

    • Karine sur 31 octobre 2012 à 10 h 32 min
    • Répondre

    @Paul : c’est juste, le découpage aide à résoudre. Ce qui paralyse, c’est le problème-montagne, amas flou dont on ne sait pas quelle face le prendre.
    Les coachs aident à faire un premier pas ou un premier geste pour s’attaquer au problème. Comme vos petits pas!
    C’est amusant que vous mentionniez les problèmes informatiques, je crois que c’est le domaine qui m’a le mieux fait ressentir la complexité : le nombre de fois où j’ai en vain cherché LA cause du problème alors qu’évidemment elle était multiple (problème de version d’OS + problème de version de logiciel + problème de mémoire etc.)
    Depuis, intuitivement, face à un problème, je me dis qu’il doit y avoir plusieurs facteurs en jeu.

    @Carine : la formation que tu as suivie a un point commun avec le coaching et les approches « projet » bien construites. Définir le point d’arrivée avant le plan d’action. En ce sens nous pourrions imaginer un billet miroir de celui-ci, mais centré sur l’objectif. Ce n’est pas l’objectif (« Ce n’est pas le but ! » le titre est trouvé).

    La posture du candide est une des facettes du coach !
    Comme tu le dis, ces approches valent pour toutes situations, au-delà du coaching et du management.

    • Carine sur 30 octobre 2012 à 18 h 58 min
    • Répondre

    Bonsoir Karine

    j’ai trouvé ce billet amusant, au sens où un formateur la semaine dernière tenait exactement le même discours sur la résolution de problèmes techniques, et ce après avoir fait un « jeu » de mise en situation. Le but de la formation était de nous amener à un minimum de formalisation de l’état actuel, et de l’état attendu, avant de définir un plan d’actions. Parmi les outils donnés: la présentation orale du ‘mini-projet’/problème pour discussion en groupe (éclaircir, synthétiser, se poser les questions), et la participation d’un candide par groupe pour éviter les raccourcis.

    A consommer sans modération donc, et sans se limiter aux situations de coaching.

    • Paul sur 30 octobre 2012 à 17 h 53 min
    • Répondre

    Lorsque je suis confronté à des problèmes, ma tendance naturelle est de les découper : il est plus facile de résoudre un « gros » problème en le découpant en plusieurs « petits ». Je parle ici de problèmes techniques (informatiques) puisque c’est notre métier, mais cela peut aussi -au moins partiellement- s’appliquer aux problématiques non techniques.

    On peut aussi appeler cela « la stratégie des petits pas » : je préfère avancer à petits pas, en vérifiant à chaque pas que j’ai avancé dans la bonne direction, plutôt que de faire un graaaannnd pas, qui s’avère parfois ensuite … dans une mauvaise direction.

    • Serge Meunier sur 30 octobre 2012 à 15 h 15 min
    • Répondre

    Karine

    A moi de remercier pour un si aimable retour. L’article m’avait frappé pour la profondeur ce qui y est dit et j’ai fait une reformulation. Je suis très heureux que vous y adhériez car celà me confirme que j’avais bien compris. Et, nous sommes d’accord, je ne pouvais être synthétique que d’après votre travail !

    Pour la forme, je suis poète et je vois l’expression écrite comme un lien ; d’autre part l’usage quotidien de Twitter nous enseigne la brièveté ;-) J’espère que vous serez lue. Je vais donc pusher le scoop.it sur les réseaux.

    Crdlt, Serge

      • Karine sur 31 octobre 2012 à 10 h 25 min
      • Répondre

      Bonjour Serge

      C’est bien cela, votre reformulation m’a parlé !

      Je ne m’étais pas trompée sur les haïkus alors, dans le sens poétique.

      Merci de diffuser l’article !
      A bientôt

    • Serge Meunier sur 30 octobre 2012 à 10 h 39 min
    • Répondre

    Bonjour Karine

    J’apprécie beaucoup l’article. Vous évoquez la sensation de clarté comme possible indicateur du fait que l’on a pointé le véritable problème et j’ai ce ressenti en vous lisant. Une constellation de prises de conscience apparaît ; elles sont parfois dans des relation causales et parfois des « moteurs » indépendants…

    J’ai compris : résister à l’envie de résolution immédiate. Mise en perspective en antidote à l’idée d’une cause unique. Prendre le temps et sortir de l’automatisme. Si essai d’une hypothèse : en conscience, vu comme essai-erreur potentiels. Et pour tout cela, une double clef : savoir être écouté ET savoir s’écouter.

    Merci, Serge

    1. Bonjour Serge,

      Merci beaucoup pour votre commentaire.

      Ravie que vous partagiez cette sensation de clarté, ce ressenti juste.

      Vous êtes bien plus synthétique que moi, et ce que vous exprimez à la façon presque d’un haïku, tout y est :
      « Mise en perspective en antidote à l’idée d’une cause unique. Prendre le temps et sortir de l’automatisme. Si essai d’une hypothèse : en conscience, vu comme essai-erreur potentiels.  »
      Merci pour cela !

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