Les 10 plaies de la légitimité managériale [1/3]

 tableau de John Martin, The Seventh PlagueS’imposer comme manager, c’est déjà loin d’être évident. Alors quand on vient en plus vous mettre des bâtons dans les roues, il y a de quoi pester ! A partir de cas réels, j’ai identifié 10 « plaies d’Egypte » qui peuvent s’abattre sur le manager et menacer sa légitimité. Nous verrons aujourd’hui les 3 premières : le court-circuit, le désaveu et le faux bond.
De vrais empêcheurs de
manager en rond ! Au-delà de la perception et des impressions, comment réagir ?

La légitimité du manager repose à la fois sur des éléments extérieurs (événements, environnement) et intérieurs (posture, savoir-être etc.) Nous verrons dans cette série d’article les éléments extérieurs. Si on faisait le SWOT de la légitimité managériale, ces éléments seraient rangés dans la case « risques« .  Pour les faiblesses, ça sera l’objet d’une prochaine série ! [voir l’article sur la posture managériale]

Que recouvre la légitimité d’un manager ?

La nomination au poste de manager donne-t-elle toute la légitimité nécessaire ? Il semble que non : ni aux yeux du manager lui-même, ni au yeux de ses collaborateurs. La légitimité résulterait plutôt d’une évaluation ou auto-évaluation régulière du manager, dans son rôle entre direction et équipe. Joue-t-il bien ce rôle, gère-t-il bien l’équipe ?
Si le manager est perçu comme étant la bonne personne à cette place – dans ses compétences, ses actes – il est légitime.

Dans ce contexte il arrive que des facteurs extérieurs s’abattent sur le manager et bousculent sa légitimité. Et ce, qu’elle soit installée ou en pleine construction. Voyons ces 10 plaies, et pour commencer, celles qui émanent des relations avec la hiérarchie.

1 – Le court-circuit

Le problème :

La hiérarchie court-circuite le manager en s’adressant en direct à son équipe.

Exemple :

Renaud dirige un studio graphique, dont il gère le planning et la répartition des tâches. En principe, il est le seul point d’entrée du studio pour les demandes des clients externes ou internes. Pourtant, le chef de Renaud passe parfois « en direct » avec certains graphistes de l’équipe.

Conséquences pour le manager : le manager ne maîtrise plus le planning de son équipe, sa charge de travail, les informations dont elle dispose. Dans les faits, il n’est plus le seul manager de l’équipe. Pire, si cela se passe à son insu, lui-même et/ou l’équipe peut penser qu’il n’est pas légitime dans sa position de manager – puisqu’on le court-circuite. C’est très désagréable !

Comment réagir ?

Si c’est la première fois que vous êtes court-circuité par votre hiérarchie, c’est peut-être l’occasion de poser des règles du jeu avec elle et avec votre équipe ; dire à quoi vous dites « d’accord » et à quoi vous dites « non ».
Si ce court-circuit se répète et que vous sentez qu’il nuit à votre légitimité, il est important de réagir sans laisser le problème s’installer !

Quelques pistes de réflexion :

  • Laisser passer votre première réaction et faire le point sur votre ressenti, afin de réagir à tête reposée et d’être au clair avec ce à quoi vous voulez arriver.
  • Exprimer, décrire le problème

    ex : « Vous me demandez de manager mon équipe, d’en être le seul référent et vous lui adressez des demandes en direct sans m’en informer ; quand vous le faites, j’ai l’impression que vous remettez en cause ma position et mon rôle »

    Votre description met en évidence le paradoxe entre les différentes intentions de la hiérarchie.

  • Dialoguer, exprimer votre désaccord et poser vos limites auprès de votre hiérarchie, mais aussi de votre équipe (même s’il n’est pas évident pour elle de dire non à son N+2 !)
  • Comprendre en quoi il est intéressant pour votre hiérarchie de parler en direct à votre équipe. Cela vous permettra de réfléchir à ce que vous pouvez proposer à la place. Souvent c’est pour ne pas perdre de temps (ex : vous n’étiez pas là au moment de la demande). Mais parfois c’est pour contourner un problème lié à vos méthodes de travail.
    Par exemple, vous aimez cadrer le travail, le planifier, et votre hiérarchie a besoin d’une forte réactivité sur ce dossier.

2 – Le désaveu

Le problème :

le manager a communiqué une décision, et la hiérarchie impose ensuite – en connaissance de cause – une autre décision, contradictoire avec celle du manager. La décision du manager est donc désavouée par la direction aux yeux de tous ou de quelques-uns.

Exemple : un collaborateur escalade pour obtenir une prime

Caroline a eu un entretien annuel difficile avec Jonathan, qui lui réclame une prime exceptionnelle de 1500 Euros. La raison : une affaire qu’il prétend avoir apportée seul à l’entreprise. Selon Caroline cette prime n’est pas justifiée car l’affaire a été gagnée par toute l’équipe commerciale. Caroline a donc tenu bon pendant tout l’entretien, et Jonathan est sorti de son bureau mécontent… pour aller frapper directement à la porte du N+1 de Caroline… qui lui immédiatement accordé la prime.

Conséquences pour le manager : colère, énervement , agitation (« Quelle plaie ! ») Le manager peut se sentir peu respecté, et l’équipe – ou le collaborateur impliqué – peuvent lui accorder moins de légitimité et de crédibilité puisque sa direction ne tient pas compte de ses choix. Dans l’exemple qui précède, Caroline s’est dit :

« C’est bien la peine que je dépense autant d’énergie à instaurer une égalité de traitement dans l’équipe, si la direction n’en fait qu’à sa tête ! Et je passe pour quoi, moi, aux yeux de l’équipe ? »

Comment réagir ? Comme pour le court-circuit, poser les limites qui vous semblent importantes, et ne pas laisser ce type de situation se répéter. Et avant tout, comprendre ce qui se joue. Car si le court-circuit c’était faire « sans vous », le désaveu c’est plutôt faire « contre vous ». Ce qui n’est pas anodin quel qu’en soit le sens.

Quelques pistes de réflexion :

  • Comme pour le court-circuit, réagir à froid et se définir un objectif.
  • Exprimer, décrire le problème à sa direction

    ex : « Vous me demandez de manager mon équipe, et à ce titre, d’être leur référent notamment en matière de bilan annuel et de salaires et primes. Ma décision de ne pas accorder à Jonathan la prime qu’il réclamait était fondée, et j’ai passé du temps à la défendre auprès de lui. En lui accordant cette prime et de surcroît sans négocier, vous me donnez l’impression que mes efforts de manager ne sont pas respectés. Et que vous remettez en cause ma légitimité. « 

    Votre description met en évidence le paradoxe entre les différentes intentions de la hiérarchie : en agissant ainsi, elle vous empêche de jouer le rôle qu’elle vous demande de jouer !

  • Dialoguer, exprimer votre désaccord et poser vos limites auprès de votre hiérarchie, mais aussi de votre équipe. Dans l’exemple, Jonathan a probablement profité de la largesse de son N+2, comme un enfant demande à son père qui rentre du travail ce que sa mère s’échine à lui refuser depuis des heures ! Pas facile de le recadrer… Avec votre direction, il est important de ne pas laisser de non-dit sur ce sujet.
  • Comprendre ce qui a fait que votre hiérarchie a pris une décision qui contredit la vôtre.
    Attention le contexte est à regarder de près  – ne soyez pas paranoïaque !

    Par exemple, pour la prime de Jonathan : son N+2 n’avait pas toutes les données du problème, il était particulièrement pris à ce moment-là et a voulu se « débarrasser » du dossier. Habitué à accorder des primes plus importantes, il n’a pas été étonné du montant. Dans d’autres cas, le N+2 avait peut-être du mal à dire non à un employé très déterminé ; ou encore, ce N+2 avait peut-être des soucis importants qui rendaient cette histoire de prime tout à fait dérisoire.

    Si en revanche cette démarche de vous contredire résulte d’un vrai désaveu assumé il est temps d’ouvrir avec votre direction un dialogue de fond sur la mission de manager qu’elle vous a confiée.

3 – Le faux bond (ou la chaise retirée)

Le problème :

le manager, sur la base de moyens annoncés par la direction, a communiqué des orientations voire fait des promesses (augmentations de salaire, réorganisation, promotion etc.) Par la suite, la direction retire les moyens annoncés.

Exemple :

La direction a annoncé le recrutement de deux ingénieurs en renfort de l’équipe sous 3 mois. Lisa a réussi à faire patienter son équipe qui se plaignait d’une surcharge de travail critique. Chacun a fait confiance à Lisa, et a mis du sien en tenant l’effort pendant 3 mois, puis 4, puis… la direction a annoncé qu’il n’y aurait finalement pas de poste supplémentaire dans l’équipe.

Conséquences pour le manager : comme dans les exemples qui précèdent, il se trouve en situation délicate, sa légitimité est remise en cause (dans son esprit, dans celui de l’équipe, ou les deux). Dans la situation de faux-bond, le manager se trouve en porte-à-faux après s’être engagé vis-à-vis de son équipe. Comme Lisa, le manager qui vit cela peut passer pour un idiot (ou un fourbe, ou un inconstant) aux yeux de son équipe. Ou du moins peut-il en avoir l’impression. La confiance de l’équipe dans son manager risque d’être entamée.

Comment réagir ?

Un manager dans cette situation peut ressentir un mélange de colère, de déception et peut-être de peur (car il fait face à un risque). Bien entendu, le cocktail d’émotions ressenties est spécifique à chaque individu. Il est important qu’il fasse le point sur sa réaction à l’événement, et sur ce qui est important pour lui – ses valeurs, ses priorités.

Quelques pistes de réflexion :

  • Vous assurer que les moyens annoncés sont bel et bien à oublier, et alors trouver un plan B. Eventuellement avec l’aide de votre direction.
    Exemple : Lisa décide de prendre un contrat en alternance, et de transférer deux projets à une autre équipe du même département, qui a une charge de travail moins importante
  • Ensuite seulement annoncer à l’équipe la mauvaise nouvelle et la bonne : le manager qui procède ainsi montre qu’il a su réagir à un imprévu, trouver des solutions, et communiquer avec son équipe. Au lieu de perdre en légitimité, peut-être en gagne-t-il !
  • Comme dans les exemples précédents, communiquer avec la direction pour clarifier les démarches de chacun et exprimer ce qui vous pose problème pour le bon exercice de votre mission managériale.

On le voit, parfois la hiérarchie joue des tours à son management. Car le problème de légitimité peut aussi venir de l’organisation générale de l’entreprise ou de l’équipe elle-même. C’est l’objet du prochain article.

Lire : Les 10 plaies de la légitimité managériale [2/3]

En attendant la suite, vos réactions sont les bienvenues ! Avez-vous connu une situation de court-circuit,  de désaveu ou de faux bond ?

7 Commentaires

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    • Bilal sur 18 janvier 2015 à 10 h 54 min
    • Répondre

    Merci pour cet article qui met bien en garde le manager de certaines situations à risques pouvant chahuter son activité, une des réponses clés que j’ai retenue, c’est de réagir mais de préférence à froid et éviter d’accentuer le problème

    • Saint-ange sur 22 mai 2014 à 23 h 24 min
    • Répondre

    J ai une chef jalouse de moi et de nos collègues.je suis son adjointe mais elle ne me fait pas confiance elle est plus avec la secretaire moi je suis utile pour mes compétences et connaissances en réglementation.le reste elle s en fiche

      • Karine sur 24 mai 2014 à 8 h 13 min
      • Répondre

      Bonjour,
      Si je comprends bien votre chef n’emploie qu’une partie de vos compétences et vous traite plus en experte qu’en adjointe. J’ai déjà rencontré ce type de situation chez des clients, c’est difficile à vivre pour l’adjoint(e).

    • richard sur 3 mars 2012 à 8 h 43 min
    • Répondre

    merci pour cette première présentation très structurée

    Exemple de désavoeu
    hier lors d’un pot de départ en retraite, le 1er adjoint chargé de faire le discours ne m’a pas permis d’exprimer le mien en donnant les cadeaux alors que je prenais la parole et cela devant mon équipe (25 personnes présentes sur 41), d’autres élus et la presse

    ma réaction : j’ai toutefois ensuite exprimé à l’agent mes remerciements pour la collaboration et dit à la presse le contenu prévu de mon discours, présenté à certains (5 personnes) avec humour l’incident, auprès du premier adjoint exprimé ma déception, il a haussé les épaules et minimisé le fait

    Bon week-end
    Anne

      • Karine sur 3 mars 2012 à 14 h 17 min
      • Répondre

      Bonjour Anne
      Merci de votre retour et de ce partage.
      Voilà effectivement une situation de désavoeu bien désagréable voire peut-être destructrice en ce qu’elle annihile une opportunité  qui ne se reproduira pas (le discours de départ devant vos équipes, les élus et la presse).
      Cette personne – dont nous ne savons pas l’intention a priori – n’a peut-être pas désavoué votre fonction ni votre légitimité mais dans les faits elle vous a privée de VOTRE moment. 
      Je comprends votre déception et les émotions que vous avez pu ressentir alors. A votre place j’aurais ressenti colère, frustration, sentiment d’injustice.

      Votre récit m’interpelle, voici deux questions que je vous poserais si nous étions dans un cadre d’accompagnement :

      Les actions que vous avez entreprises en réponse : dire votre discours et vous remerciements comme prévu, partager votre déception sous forme d’humour avec un groupe et en l’exprimant à la personne concernée,
      ont-elles comblé vos besoins ? 

      Si non, de quoi avez-vous besoin à présent et que pouvez-vous faire pour satisfaire ce(s) besoin(s)?

      Très bon week-end à vous,
      Karine

  1. Merci beaucoup Christophe, je suis touchée !
    La suite arrive très bientôt, dès vendredi ;)
    Bonne semaine à toi et à très bientôt !

  2. Excellent début de dossier consacré au quotidien des managers de tous horizons. C’est un vrai plaisir de te lire Karine :-)
    J’ai hâte de voir la suite.

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