La volonté reine ?


A trop vouloir...? Coaches Shout Instructions (CC) Chris Hunkeler - FlickrEn Occident la volonté est souvent valorisée. Vouloir c’est pouvoir, dit-on. Effort et persévérance vaudraient mieux que patience ou chance. Et pourtant, la volonté échoue parfois. Ou pire, elle génère un effet contraire à celui recherché – tandis que le lâcher-prise et l’approche indirecte peuvent s’avérer payants, comme nous le verrons dans un prochain article.

Au mot “volonté” j’ai des images qui viennent, dont une partie évoque une forme de lutte : le sportif qui grimace au bout de son effort, l’enfant qui se roule par terre ou le manager qui perd son calme parce qu’il n’obtient pas ce qu’il veut. Vouloir fort, parfois, ne suffit pas.

Car, avec la meilleure volonté du monde, le but n’est pas toujours atteignable. Voire même il arrive qu’à trop vouloir, on force et on déclenche une résistance dans le système – selon le principe de l’homéostasie, c’est-à-dire du maintien de l’équilibre antérieur. Dans certaines situations notre tentative de contrôle nous donne encore moins de contrôle.

A trop vouloir… une volonté contre-productive

Voici quelques exemples d’une volonté contre-productive :

1. Demander quelque chose à quelqu’un et insister pour qu’il le fasse maintenant ou répéter sa demande
// Au lieu de demander et laisser l’autre agir

2. Proposer un produit ou un service et ajouter argument sur argument pour convaincre
// Au lieu de laisser s’éveiller l’intérêt et venir les questions

3. Essayer à tout prix de dormir la veille d’un examen ou d’une compétition sportive, pour être en forme
// Au lieu de laisser son organisme gérer la mise en veille

4. Chercher absolument à donner une bonne image de soi pendant sa période d’essai, et ne penser qu’à ça

Si vous êtes déjà tombé dans le piège de cette volonté farouche, peut-être avez-vous expérimenté les conséquences de votre démarche. Reprenons les mêmes exemples :

Exemple 1 : la personne peut résister à l’idée de faire tout de suite ce que vous demandez
2 : votre interlocuteur se sent méfiant ou a envie de fuir
3 : vous avez du mal à vous endormir
4 : vous finissez par apparaître stressé / mal à l’aise / pointilleux / manquant de confiance / ou autre chose encore

Du « but conscient » à la sagesse

Gregory Bateson, anthropologue et cybernéticien, père de l’Ecole de Palo Alto, parlait de “but conscient” pour désigner cette démarche assez linéaire visant à atteindre un objectif précis en y employant tous ses moyens. En 1967, dans un texte intitulé “But conscient ou nature”, Gregory Bateson introduit l’idée d’un paradoxe : ce “but conscient” de l’esprit crée autre chose que ce qu’il cherche à obtenir, voire parfois, crée l’effet inverse.

Que se passe-t-il quand nous voulons voulons voulons ?

Nous filtrons la réalité et devenons aveugles et sourds aux réponses de notre environnement, qui nous permettraient de nous ajuster pour… faciliter ce que nous désirons.

Nous focaliser autant sur notre objectif nous prive d’une vision plus globale et donc de solutions alternatives, ou parfois même, de laisser les choses advenir par elles-mêmes. En l’occurrence, considérez les 4 exemples plus haut et demandez-vous s’il arrive que ces choses se fassent seules dans le sens souhaité !

En cause, cette injonction « il faut absolument que cela marche », comme une fixation; l’esprit se croit-il plus fort que la matière ?

Approche volontariste, ou sagesse systémique ?

On ne fait pas pousser (plus vite) les carottes en tirant dessus.

Finalement, notre manière de faire plutôt que laisser advenir, revient à vouloir contrôler le monde par l’esprit, sans tenir compte de la réponse du monde.

C’est une approche très occidentale, dont Bateson dit qu’elle peut fonctionner en apparence, mais avec un retour de flamme :

De nos jours, les buts de la conscience sont rapidement atteints, grâce à des machines de plus en plus efficaces, des systèmes de transport, des avions, de l’armement ; grâce à la médecine, aux pesticides, etc. Le but conscient a, de nos jours, tout pouvoir pour bouleverser les équilibres de l’organisme, de la société et du monde biologique qui nous entoure. Une pathologie, une perte d’équilibre, nous menace. Si vous suivez les ordres pleins de « bon sens » de la conscience, vous deviendrez rapidement avides et  dépourvus de sagesse.

J’entends par « sagesse » la prise en compte dans notre comportement du savoir concernant la totalité de l’être systémique. Le manque de sagesse systémique est, en effet, toujours puni.  Les systèmes biologiques punissent toute espèce qui manque assez de sagesse pour se brouiller avec son écologie. (Gregory Bateson, « But conscient ou nature », conférence de juillet 1967)

Une approche plus orientale, moins linéaire, consiste à lâcher prise sur le but ; être et laisser faire au lieu de faire. Lâcher prise peut s’avérer la meilleure voie, une sagesse payante. C’est l’objet du prochain article consacré au lâcher prise.

D’autres articles autour de ces notions :

6 Commentaires

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    • Julien Leader & Blogueur sur 27 juillet 2015 à 14 h 57 min
    • Répondre

    Bonjour Karine!

    Encore un article qui suscite en moi des envies d’écrire!

    Lorsque vous citez l’homéostasie et Bateson je me suis dit que vous deviez vraiment apprécier l’approche systémique. C’est cool! (et corrigez-moi si je me trompe)

    Insister/argumenter me fait penser que cela fait longtemps que j’évite la confrontation directe, même si parfois je retombe dans de vieux travers (souvent sous l’émotion). J’aime beaucoup un principe de l’entretien motivationnel qui est de rouler avec la résistance (j’en parle dans mon dernier article sur la procrastination^^)

    Se forcer à dormir… Paul Watzlawick affirme dans son bouquin « changements » qu’il s’efforce à garder les yeux le plus longtemps ouverts lorsqu’il veut trouver le sommeil. Chez moi ça fonctionne pas plus que 10 minutes… Après je verse.

    Et pour conclure, la volonté que vous citez me parait plus pour une personne bornée. Et faire prendre de la hauteur à une personne bornée c’est cool (aussi) et cela l’aide.

    À bientôt!

    Julien

    • Carine sur 22 mai 2015 à 19 h 25 min
    • Répondre

    je pensais à la phrase « la foi déplace des montagnes »…. volonté, volonté ….

    • cierzniewski sur 22 mai 2015 à 8 h 46 min
    • Répondre

    Bonjour mes chères amies,

    en effet, belles réflexions pour acheminer le débat et l’exemple de Carine est une parfaite illustration, quant à la mythologie, elle ne comporte que des héros qui ont souffert sans forcément réussir… Sysyphe et son rocher fondateur du mythe de Corynthe, Oedipe et sa prophétie autorealisatrice,etc..
    Les conséquences se retrouvent dans les entreprises ( devrais je préciser à culture française ?) : « On a besoin d’une grande idée pour créer une grande entreprise »,  » Les Entreprises Visionnaires réussissent grâce à une planification stratégique brillante »…
    Et je n’oserais pas compléter par les influences de la religion juré-chrétienne…non je n’oserais pas…

    c’est un plaisir de vous lire

  1. Bonjour Carine et Eric,

    Merci de vos riches commentaires ! Eric j’aime beaucoup ce que tu apportes sur la volonté consciente et la motivation inconsciente avec le risque d’écart entre les deux, un vrai sujet de réflexion.

    Carine, le jusqu’au-boutisme des explorateurs a parfois été payant (voir E. Shackleton… qui d’ailleurs a fait preuve de lâcher-prise à certains moments, intéressant !) mais souvent aussi une héroïque perte comme tu le mentionnes.
    Effectivement, notre mythologie résonne fortement des mérites de la volonté, à l’inverse des modèles zen où le maître le plus admirable est celui qui sait lâcher-prise. Ecrivons une nouvelle mythologie ;)

    • Carine sur 21 mai 2015 à 19 h 59 min
    • Répondre

    Bonjour Karine (et Eric)

    je visitais ce week en dune expo sur la conquête du Pôle Sud, avec la comparaison des expéditions de Scott (traineaux tirés par des hommes) et Amundsen (traineaux tirés par des chiens). Scott, qui a perdu la ‘course au pôle’ et est mort avec ses coéquipiers sur le chemin du retour, justifie à un moment son choix technique par la beauté de l’effort en équipe, et le dépassement de soi. Caricature ultime de la volonté …. qui revient à se mettre des oeillères au point de rater son objectif et en même temps fabrique des héros.
    Combien de notre mythologie est construite sur les mérites de la volonté, et combien sur le lacher prise ?

    • Cierzniewski sur 21 mai 2015 à 9 h 49 min
    • Répondre

    bonjour Karine,

    Encore une belle écriture autour du thème du but conscient, si générateur d’obstination et de contre-productivité.
    Pour moi, cela fait aussi le tri entre volonté et motivation, et rappelle que plus l’écart est grand, entre ce que je veux consciemment ( ou je que je me force à vouloir) et ce que je veux inconsciemment, et plus la contre-productivité s’agrandit, au risque même d’y laisser toute son énergie et de finir blessé.

    Combien de managers le sont devenus parce que cela leur permettait d’obtenir une ascension sociale par exemple, mais qui au fond d’eux-même, regrettent la passion de leurs anciens métiers, la passion de la technique qu’iles aimaient tant et qui aujourd’hui n’est plus qu’un lointain souvenir, comparé à un quotidien fait en grande majorité de moments qu’ils n’aiment pas…et combien de blessures psychologiques ou physiques cela génère.

    ou autrement dit « Quand la conscience nous guide vers son bon sens mais nous éloigne de notre sens à nous »

    merci pour les moments précieux de lecture que tu nous offres

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