Leader ou… gourou ?

Doors of perception (cc) new 1lluminati - FlickrLeader ou gourou ? La question se pose parfois face à un type de dirigeant très charismatique et adulé. Idéalisé par les uns qui seraient prêts à donner leur chemise à ce chef grand manitou, critiqué par les autres qui voient en lui les excès, la toute-puissance et les failles, le gourou ne laisse personne indifférent. Il est parfois si emblématique qu’il incarne à lui seul l’identité de l’entreprise. Dont on se demande alors si elle lui survivra. Comment distinguer le leader du gourou ? Comment se positionner par rapport à ce personnage atypique ?

Il y a des points communs entre leader et gourou, parmi lesquels la vision et la capacité à entraîner les autres à agir pour réaliser cette vision.

La comparaison s’arrête peut-être là, car les éléments qui permettent de distinguer le gourou du leader sont nombreux.

Voyons-en quelques uns. Vos apports en commentaires sont les bienvenus !

Eléments distinctifs du leader et du gourou

Le leader Le gourou
Sert une cause Sert sa propre cause
Est surtout suivi pour ses idées Est surtout suivi pour sa personnalité
Est suivi et admiré sous conditions (pertinence de ses idées et actions) Est suivi et admiré inconditionnellement, quoi qu’il fasse c’est bien
Sait partir et laisser la place à son successeur (et faire le deuil) Ne sait pas partir, ne laisse pas faire le deuil
Partage la vérité, admet d’autres opinions Détient seul la vérité
Cherche parfois à faire d’autres leaders, acteurs Cherche uniquement à faire des suiveurs, passifs
Convaincre par des arguments ou utilise la persuasion pour influencer Cherche uniquement à persuader, litt. « attirer à soi » par une manipulation
Utilise l’assertivité, l’affirmation directe de lui-même et de ses opinions Utilise la manipulation pour parvenir à ses fins
A le culte de la réussite collective A le culte de sa personnalité

Au départ, le sens du mot gourou est positif. Nous l’employons aujourd’hui avec la connotation négative d’un abus de pouvoir et d’un éventuel endoctrinement.

En sanskrit, un guru (sanskrit : गुरु) est une personne qui possède une grande connaissance, une sagesse. Elle fait autorité dans un certain domaine et à ce titre, elle guide les autres [Wikipedia]. Etymologiquement en sanskrit gurúh signifie « lourd, grave », avec l’idée de « vénérable » (source : TLF). C’est un maître spirituel, et un enseignant, avec une connotation méliorative.

Les anglo-saxons utilisent le terme de gourou dans un sens appréciatif pour désigner un expert, un spécialiste : high tech guru, management guru.

Dans l’acception péjorative actuelle, le gourou est un maître à penser qui asservit ses fidèles. En effet, il suscite une croyance entière, une foi, rend ses adeptes dépendants de lui. Telle est l’utilisation du terme dans le domaine des sectes.

Pas de gourou sans émules

Le gourou fascine ceux qui ont besoin d’aduler. Deux besoins se rencontrent, celui d’être adulé et celui d’aduler.

Citons une publication au sujet des sectes,

« (…) le besoin de l’adepte de se soumettre à un autre imaginé comme ‘ Grand ‘, comme possédant ‘la Vérité ‘, ‘ la Réponse à ses questions ‘. Grâce à ce rapport d’idéalisation de l’adepte envers le leader, l’adepte se sent puissant et tire une satisfaction narcissique qui le gratifie au-delà des sacrifices que le leader peut exiger de lui. Subjectivement il se sent agrandi par la relation qui le lie au chef et désire conserver comme un trésor précieux ce lien privilégié. » communication de la psychiatre Dianne Casoni au colloque d’Interlaken ‘Sectes et occultisme. Aspects criminologiques’ des 6-7-8 mars 1996

En revanche ceux qui n’ont pas ce besoin restent critiques vis-à-vis du gourou, dans une distance qui leur laisse un libre-arbitre.

Franck, dirigeant et fondateur charismatique

Franck dirige une PME dans les nouvelles technologies et il a tout du gourou. (Père) fondateur de son entreprise, sa personnalité haute en couleur et son charisme divisent les salariés.
D’un côté, les fidèles, charmés par le boss, le suivent à 100% et l’acceptent inconditionnellement, malgré ses aspérités de taille : sa dureté, ses décisions abruptes et parfois étonnantes, ses coups de sang etc. S’ils restent dans cette entreprise, c’est pour lui.
De l’autre, les critiques qui savent reconnaître ses talents mais désapprouvent ses excès et le lui disent parfois les yeux dans les yeux. Eux, restent dans la boîte… malgré lui.

Peut-on être gourou malgré soi ? (alors que l’on voulait seulement être leader)

Peut-être, si des émules se fascinent pour le talent du leader et le portent aux nues. Encore faut-il que le leader accepte cette position sur un piédestal. Il peut avoir de la distance avec une telle projection, ou s’en moquer ; il peut aussi en être agacé.

Steve Jobs, gourou malgré lui ?

Steve Jobs est l’irremplaçable aux yeux de millions de fans de la marque à la pomme. Etait-il gourou ? Reprenons les critères plus haut :
– certes il servait plus grand que lui (Apple, et au-delà, la Technologie), mais il semble être admiré inconditionnellement par une partie des fans d’Apple
– son départ laisse une place dont on entend souvent dire qu’elle ne pourra être comblée, nul n’étant à la hauteur. A-t-il su, pu, préparer la place à ses successeurs ?
– convaincu et convaincant, il semblait détenir la vérité, dans ses discours, ses prises de position. Il était virulent sur ses concurrents, dans quelque chose qui évoque parfois une guerre de religion
– il utilisait la fascination, le show, le storytelling pour entraîner les foules
– pour certains, il était tombé dans le culte de sa personnalité

Alors, Steve Jobs, voulait-il être gourou ou est-il devenu gourou par l’élan collectif de ses fans ? Servait-il quelque chose de plus grand que son ego et aura-t-il été enfermé par ses fans dans un culte de la personnalité ? Je laisse ses biographes et spécialistes répondre à ces questions. Cet exemple nous montre que la question du gourou est complexe.

Effets du gourou sur l’entreprise

Il y a probablement peu de « vrais » gourous (au sens de gourou spirituel) dans les entreprises, le cadre ne s’y prête peut-être pas – en-dehors par exemple des sociétés autour du bien-être ou du développement personnel. Parlons alors, pour les dirigeants d’entreprise, de gourou avec un petit « g » c’est-à-dire de personnalités qui ont des traits du gourou.

Quels effets a le gourou sur une organisation ?
Nous l’avons vu, il ne laisse pas indifférent, suscite l’adhésion de ses fans et une éventuelle cohésion entre eux.
Il n’obtient pas, en revanche, l’adhésion de ses opposants qui voient l’envers du décor et les problèmes que pose ce gourou.

Ces opposants apportent un contrepoids essentiel en cas de mauvaises décisions du gourou. On trouve là un point commun entre le gourou et le leader directif, qui pense détenir la vérité et cherche à l’imposer à tous. Une tendance à ne pas souffrir la contradiction…

Le gourou est un atout à double tranchant pour l’image de l’entreprise à l’extérieur. Il marque les esprits, attire, véhicule puissamment l’aura de l’entreprise mais il peut aussi inspirer la méfiance aux partenaires ou clients. Le gourou attire les candidats et fidélise les collaborateurs… et parfois les fait fuir.

Qu’en pensez-vous ?

Que vous inspirent les gourous ?

Et vous-même, cherchez-vous à être leader ou gourou ? Assumez-vous cette part de vous ?

Prolonger, en se tournant plutôt vers le leadership :
>> Nos articles sur l’art d’être leader et les styles de leadership

5 Commentaires

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  1. Il s’agit également de disposer ou former les managers d’un point de vue comportemental afin de s’assurer d’une forte capacité de résilience. Les attitudes émotionnelles favorisant un mode de leadership « absorbeur d’anxiété » sont des ressources importantes pour développer la résilience du groupe de travail. En effet, l’anxiété du chef dans des conditions adverses se transmet facilement à ses collaborateurs . source : Le développement de la résilience au travail : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=163&dossid=528

  2. Bonjour Hafssa et Carine,

    Merci de vos commentaires.
    Effectivement comme tu le dis Carine, pas de leader sans suiveurs. En cela, pour moi, le leadership n’est pas une qualité inhérente au leader, mais émergente de la relation leader – environnement.
    C’est amusant que tu cites la vidéo de Derek Sivers : elle est en conclusion du parcours « Le Leadership & moi » que je viens de finaliser et de mettre en ligne ! (cf. vignette dans la colonne de droite sur cette page)

    Tu as raison, les positions prises dans mon article sont polarisées… à dessein ;) Dans un but pédagogique, j’ai préféré forcer les traits. C’est vrai, un leader même participatif et collaboratif peut chercher à garder la tête du mouvement qu’il a créé, et ça ne fait pas de lui un gourou pour autant.
    C’est vrai aussi que le leader ne fait pas que tenter de convaincre, la persuasion n’est pas l’apanage du gourou ; peut-être pouvons-nous laisser tout de même à ce dernier, la persuasion manipulatoire. Donc, je suis en phase avec la distinction que tu apportes et elle me donne envie de modifier ce point de la liste.
    Le leadership n’est pas toujours plus rationnel que le gourou, en revanche son intention est assez différente.

    Merci, donc, pour les nuances justes que tu apportes !

      • Carine sur 1 décembre 2014 à 19 h 23 min
      • Répondre

      Karine
      je pense effectivement qu’on peut considérer que le gourou a une faible utilisation des éléments rationnels pour convaincre, et que le leader est capable/peut utiliser les 2.

      En ce qui concerne l’exemple de Steve Jobs, ci joint un article (http://www.theatlantic.com/business/archive/2011/11/be-a-jerk-the-worst-business-lesson-from-the-steve-jobs-biography/249136/) qui fait la part des choses entre son génie et son côté sombre. Je ne sais pas s’il se voulait gourou ou tyran, je pense que la réponse est différente selon qu’on regarde les acheteurs de produits Apple et les employés amenés à travailler avec lui.

    • Carine sur 30 novembre 2014 à 11 h 12 min
    • Répondre

    Bonjour Karine

    je crois qu’il y a un point commun entre leader et gourou, c’est le fait d’avoir des suiveurs. Je me souviens avoir très ‘naturellement’ commenté le titre d’un article ‘comment mesurer le leadership’ que mon chef avait laissé sur son bureau en disant ‘il n’y a pas de leader sans follower. Si vous vous retournez et que personne ne vous suit, vous n’êtes pas un leader’. A ce propos, il y a cette excellente vidéo http://www.ted.com/talks/derek_sivers_how_to_start_a_movement
    La différence entre les 2 est je pense dans la possibilité de choix, de libre-arbitre que va laisser le leader ou que va prendre le suiveur. Dès qu’on est dans l’inconditionnel réciproque, je pense qu’on est dans la relation gurudisciple.

    Par contre, je serais moins tranchée sur certains points pour la distinction entre le gourou et le leader
    *Cherche à faire d’autres leaders, acteurs vs Cherche à faire des suiveurs, passifs: un peu trop tranché à mon gout, que le gourou veuille une armée de lobotomisés, ok. Par contre, je ne suis pas sûre que tous les leaders ne veuillent pas garder la tête du réseau ou du mouvement qu’ils créent.
    * Cherche à convaincre par des arguments vs Cherche à persuader, litt. « attirer à soi »: ce que je n’aime pas dans la distinction, c’est que l’argumentation ne joue que sur le rationnel, alors que la persuasion joue sur les tripes. L’argumentation est la voie royale pour organiser une opposition (ou une escalade) rhétorique stérile, l’expérimentation permet d’ouvrir d’autres pistes en laissant ensuite le choix à la personne de prendre sa décision en toute connaissance de cause.
    * Utilise l’assertivité, l’affirmation directe de lui-même et de ses opinions vs Utilise la manipulation pour parvenir à ses fins: ce qui est de la manipulation si c’est au service du gourou, devient de l’influence si c’est au service du projet, du groupe ou de l’entreprise. Comme au dessus, je crois qu’il y a une confusion occidentale entre le moyen (qui peut être l’influence ou une approche indirecte) et l’objectif, une espèce d’idéalisme où il faut convaincre par l’expression de la pensée pour être bon, pur et honnête.
    Je vais jusqu’à penser que c’est (entre autre mais pas que) dans cette erreur de raisonnement qu’on trouve la source de l’énorme (70 à 80%) taux d’échec des mises en place de dynamiques d’amélioration continue comme le lean manufacturing.
    En gros, il y a pour moi dans les caractéristiques du gourou des choses dont le leader ferait bien de s’inspirer :)

    • EL BAKKALI sur 28 novembre 2014 à 12 h 04 min
    • Répondre

    salut Karine,
    très bon article, j’ai bien aimé..
    je partage cet article sur notre page facebook, comme ça plusieurs vont en bénéficier ;-)
    très bonne continuation
    Hafssa
    du MAROC

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