Sans transition ?

Trapéziste en vol, au moment d'attraper un trapèzePeut-être est-ce la télévision qui nous l’a appris. Ou alors, notre culture de l’optimisation du temps et de l’espace. « Sans transition », ou « on enchaîne ». Dans une transition professionnelle, nous cherchons parfois à ce que les choses s’enchaînent, bout à bout, sans vide entre elles. Continuité rassurante, mais qui a ses revers : souvent qui se suit se ressemble, le potentiel d’évolution est limité.

J’accompagne régulièrement des personnes en transition professionnelle, et je constate qu’elles réussissent d’autant mieux leur évolution qu’elles s’autorisent à prendre le temps de le faire bien.

S’autoriser à le faire, c’est aller à l’encontre d’une loi (culturelle ?) qui voudrait que l’idéal est dans l’enchaînement parfait, dans la transition miracle. Par exemple, chercher un autre job avant d’avoir commencé à quitter le précédent, prévoir de reprendre le travail le lendemain de son retour de vacances ou encore, dès la fin d’un congé maternité.

Parfois même nous nous arrangeons pour que deux périodes successives, ou deux états, se superposent – trop vaut mieux que pas assez.

Il y a bien sûr des impératifs économiques qui dictent en partie ces choix. Mais n’y a-t-il pas aussi une propension à enchaîner différentes périodes sans laisser aucun espace de transition ?

Et que manquons-nous en nous privant de ces périodes de transition ?
Quelle opportunité apparaît dans les vides imposés (perte d’emploi et autres ruptures professionnelles) ?

Un vide aussi terrifiant que créateur

Savons-nous lâcher la liane (ou le trapèze) avant d’avoir attrapé la suivante ?
A quoi nous confronte ce passage par le vide ?

Nous voilà dans l’incertitude : vais-je reprendre attache, où, et quand ?

Le vide peut générer une angoisse, il est pourtant aussi créateur car libérateur. A l’inverse, l’enchaînement nous en-chaîne.

Il se passe quelque chose dans cet entre-deux qui ne se passe pas avant. Avant de lâcher la liane, nous regardons encore le futur avec les yeux de cette expérience présente. Elle conditionne encore notre pensée, nos choix.

Une fois dans le vide, nous avons littéralement lâché prise et notre regard est neuf. Certes, nous avons alors affaire à un cortège d’émotions, éventuellement fortes, qui influe sur nos décisions. Mais au prix de cet inconfort nous avons gagné un vrai champ des possibles.

Le vide, c’est l’opportunité de la créativité par ouverture des choix. Il favorise les changements de type 2, car dans le vide nous avons vraiment lâché l’avant et pensons l’après – presque – ex nihilo. Comme une renaissance ?

Changements de type 1 et 2

Gregory Bateson, père de l’école de Palo Alto, a défini deux types de changement. Le changement de type 1 est un changement qui préserve l’équilibre dans un système. Un thermostat, par exemple, opère des changements de type 1 destinés à maintenir la température la plus proche possible de celle définie comme souhaitée.

Si en revanche nous changeons la température programmée, nous opérons un changement de type 2, c’est-à-dire un changement qui affecte le système lui-même (et non plus un changement au sein du système).

Le changement de type 2 est un changement d’équilibre, avec une nouvelle norme.
Dans l’entreprise, les différentes réorganisations peuvent ressembler à des changements de type 2 mais s’avérer finalement de type 1 : le système rétablit son équilibre tôt ou tard, comme si le changement apporté était “toujours plus de la même chose”. Un changement de type 2 en entreprise ou ailleurs, passe souvent par une crise et une remise en cause du système. Le vide crée une crise par discontinuité, avec l’opportunité d’opérer alors un changement de type 2, qui aurait été plus difficile dans la continuité.

 

Quelques exemples

Stéphane vient me voir parce qu’il s’est retrouvé, brusquement, privé de son poste de directeur de clientèle. Il travaille dans un secteur dynamique et pourrait retrouver rapidement un emploi similaire. Pourtant, sa demande est que je l’accompagne à profiter de cette rupture subie, pour redéfinir son projet professionnel. Seul, dit-il, il n’en aurait pas le courage, ce vide l’effraie. Après quelques entretiens Stéphane sait où il veut aller : il va créer son entreprise dans le conseil.

Catherine vient elle aussi me voir pour clarifier ce qu’elle veut faire professionnellement. Elle s’ennuie dans son poste de commerciale, qu’elle occupe toujours. Durant les premières séances elle identifie des idées mais ne va pas au-delà, peut-être parce qu’elle est encore dans le bain de son poste actuel : elle voudrait une transition la plus douce possible, et pour cela avoir un plan d’action précis avant de quitter son emploi. Elle finit par négocier son départ avec son employeur et au moment de sa sortie, quelque chose s’enclenche : je la vois prendre des décisions plus radicales pour son avenir, et aller au bout d’une idée qu’elle avait eue au début du coaching.

Pour ces deux personnes, le vide a servi de rampe de lancement pour un nouvel élan, de manière subie pour le premier et volontaire pour la seconde. Sans ce vide, peut-être n’auraient-ils pas réussi à penser hors de la boîte (littéralement, hors de l’entreprise !)

Une question se pose à ce stade : comment trouver des vides fertiles sans pour autant se mettre en danger ? Ou alors, le risque est-il une composante nécessaire à la crise et au changement ?

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5 Commentaires

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  1. Merci Marie-Pierre et Jean-Luc pour vos messages.
    En effet le temps improductif est mal considéré, même quand nous avons conscience de son utilité. Time is money, maybe !
    Je trouve aussi qu’un accompagnement fait la différence dans cette période fragile et fertile où l’on quitte une zone de confort sans plonger dans une autre. L’exploration de ses désirs profonds demande un temps, une maturation, une permission aussi !

    • Jean-Luc sur 1 mai 2014 à 18 h 12 min
    • Répondre

    C’est Pierre Rabhi qui a dit ; « L’être humain a véritablement besoin de vie et de temps pour ne rien faire. Nous sommes dans une pathologie du travail, où toute personne qui ne fait rien est forcément un fainéant. »
    C’est tellement vrai, non ?

    • Carine sur 1 mai 2014 à 11 h 59 min
    • Répondre

    Bonjour Karine

    je dirais que la crise est une composante nécessaire au changement et que le risque n’est qu’une conséquence de la crise, que l’on choisisse de changer ou pas. Sans crise, je pèse les inconvénients de la situation potentielle contre les avantages de la situation actuelle. Avec une crise, je pèse les inconvénients des 2 situations, ce qui est bien moins biaisé.

    Apprivoiser le vide, c’est une autre histoire… c’est un peu comme enlever les petites roues du vélo: ça marche rarement tout seul au 1er coup, et plus on a peur de chuter, plus on chute.

      • Karine sur 1 mai 2014 à 17 h 20 min
      • Répondre

      Bonjour Carine
      Merci pour ce partage ! L’inconvénient du changement et le bénéfice de la situation actuelle, ce sont toujours deux pistes intéressantes à creuser.

      Amusant que tu évoques les deux petites roues : hier un de mes clients a employé cette image, c’était le dernier entretien de coaching et il se préparait à continuer sa route en toute autonomie ;)

    • Marie-Pierre sur 29 avril 2014 à 11 h 30 min
    • Répondre

    Bonjour,

    Il m’a été très difficile de quitter ma zone de confort professionnelle dans laquelle pourtant je ne m’épanouissais plus. J’ai subi un départ forcé qui aujourd’hui m’a permis de me lancer dans une activité indépendante.

    Pour moi, cette période inconfortable est un passage obligé si on veut opérer une transition professionnelle. Il est nécessaire de quitter son job pour être en mesure d’être pleinement dans « qu’est ce qui est important pour moi et dans quelle direction je souhaite aller ». Si on a le fil du confort à la patte, le cerveau ne peut pas avancer.

    Je recommande d’être accompagné dans cette phase pour avoir des outils de questionnement qui permettent d’affiner son projet.

    Merci Karine pour cet article.

    Marie-Pierre

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