Entêtement et paradoxe

Dispute entre 2 conducteurs de voitures qui veulent la même placeQuand notre action n’a pas l’effet escompté, souvent nous essayons encore, davantage, ou plus fort. Or il arrive qu’au lieu de nous rapprocher de la victoire, ce choix nous en éloigne en créant un cercle vicieux. « Toujours plus de la même chose » donne « toujours plus du même résultat » nous dit Paul Watzlawick, et l’approche paradoxale de l’école de Palo Alto nous invite à réfléchir sur les situations où notre insistance s’avère contre-productive. Essaye… non pas « encore », mais autrement !

« Ne changez rien ! » pourrait être une injonction parfois ironique de l’approche paradoxale, inventée par l’Ecole de Palo Alto. Cette approche de résolution de problèmes est née dans les années 60 à Palo Alto, Californie, des travaux pluridisciplinaires

En résumé cette approche dite « paradoxale », issue de l’approche globale systémique, consiste à briser les cercles vicieux.

Comment ? En proposant de cesser les solutions qui semblent entretenir le problème.

Ecoutez la parabole de Paul Watzlawick* sur le sujet :

« Sous un réverbère, un monsieur visiblement éméché scrute longuement le trottoir. Survient un policier qui s’enquiert de l’objet de ses recherches. « J’ai perdu ma clé », répond l’ivrogne. Et les deux hommes se mettent à chercher ensemble. Au bout de quelques minutes, le policier s’étonne : « vous êtes bien sûr de l’avoir perdue ici, votre clé ? » D’où la réponse pleine de logique : « Non, je l’ai laissé tomber plus loin, par là-bas, mais il fait beaucoup trop sombre ». »

Bien sûr, l’histoire semble absurde. Chercher au mauvais endroit c’est condamner la recherche à l’échec, qui ferait cela ? A y regarder de près, nous adoptons pourtant ce type de comportement qui consiste à faire « plus de la même chose », parce que cela nous semble la seule voie possible.

Exemples :

– un manager et son collaborateur se disputent fréquemment un territoire commercial. Le manager réaffirme sa position de leader, le collaborateur répond par des provocations. Tant que le manager continue à montrer avec insistance qu’il est le chef, le collaborateur lui tient tête, d’où un cercle vicieux
– un responsable qualité impose des normes à différents services, qui ne les suivent pas. Régulièrement il les relance en exigeant une application de ces normes, il s’en plaint à la direction, mais rien ne bouge.

Paul Watzlawick, fondateur de l’école de Palo Alto et auteur de « Comment réussir à échouer », a une formule pour ça : nous faisons « toujours plus la même chose », ce qui donne toujours plus du même résultat. Nous sommes comme ces bébés qui essayent vingt fois de suite de faire entrer un cube dans un trou oval, sans succès, jusqu’à ce qu’il choisisse la forme ovale à la place. Sauf que le bébé apprend par l’erreur !

« Insanity is repeating the same mistakes and expecting different results ». Albert Einstein

Comment sortir du cercle vicieux ?

L’étymologie du paradoxe c’est une « opinion qui va à l’encontre de l’opinion communément admise ».

Pour sortir du cercle vicieux, la clé est de se préparer à faire un choix qui va à l’encontre de ce que nous avons tenté jusque-là. Pour cela, l’approche consiste à identifier le dénominateur commun à toutes les solutions mises en place pour résoudre le problème.

En effet, nous avons rarement l’impression de faire vraiment la même chose. « J’ai tout essayé », dit-on, en citant de multiples tentatives de résoudre le problème. A y regarder de plus près, nous pouvons découvrir un « vecteur » commun à toutes ces tentatives, qui les oriente dans la même direction.

Un exemple classique, c’est celui des réunions :

Les réunions avec votre équipe ne démarrent jamais à l’heure. Vous pestez contre les retardataires, soulignez « 10h précises » dans vos invitations,  envoyez les uns rameuter les autres, etc. Rien n’y fait.

Approche paradoxale :  le dénominateur commun des solutions que vous mettez en place, c’est d’essayer de faire arriver les gens à l’heure.

En modifiant ce dénominateur, cela donne : et si vous acceptiez que certains manquent le début de la réunion ?

Action : vous commencez la prochaine réunion à l’heure, sans attendre les retardataires.

Résultat : ceux-ci entrent dans la salle, surpris, prennent une phrase en cours de route, doivent s’adapter. Et si cela les incitait à plus de ponctualité ?

Bien sûr ce n’est pas toujours si simple, mais c’est l’idée.

Un autre cas : revenons sur ce manager auquel un collaborateur « rebelle » résiste encore et encore. A chaque tentative du manager de le cadrer, c’est pire. Regardons ce que le manager a mis en place depuis le début du problème. Il a :
– tenté l’entretien individuel avec points sur les « i »
– haussé le ton
– menacé de sanctions
– systématiquement dévalorisé le travail de ce collaborateur
– et confié les meilleurs dossiers à d’autres de l’équipe
– vérifié par tous les moyens le travail de son collaborateur résistant

Quel est le point commun à toutes ces tentatives ? L’affirmation du leadership par la force et le contrôle. Ce manager est convaincu qu’il doit s’imposer et imposer le respect, et que cela ne peut se faire que par la force. Le collaborateur, visiblement, n’est pas de cet avis !

Quelle alternative ? Inversons la proposition : disons que le manager lâche prise sur l’idée d’asseoir son autorité vis-à-vis de ce collaborateur, et agit en conséquence. Par exemple, il ne le recadre plus, ne contrôle plus ses faits et gestes ni son travail, il le laisse agir dans le périmètre qui est le sien.

Le simple fait d’arrêter de vouloir asseoir son autorité va relâcher la tension qui crée la résistance chez le collaborateur. C’est comme si – pour prendre une image de manège – le cavalier arrêtait de tirer sur les rênes et que le cheval cesse alors de tirer en retour.

Cela requiert un peu de gymnastique intellectuelle, du lâcher-prise, de la créativité, un peu de patience, de confiance en soi et en l’autre… et un brin d’humour !

Et vous, vous arrive-t-il de faire toujours plus de la même chose ?

Anecdote : je cherche toujours une photo pertinente pour illustrer mes articles, et jamais je n’ai autant cherché que pour celui-ci. J’avais dans l’idée de l’illustrer par la photo d’un bébé qui insère une forme dans un emplacement d’une autre forme, sans réussir. Impossible de trouver une telle photo ! J’ai insisté jusqu’au point où j’ai réalisé que je faisais, justement, toujours plus de la même chose…

* source : Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur (The Situation is hopeless but not Serious), 1983

16 Commentaires

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    • Tokimai sur 31 mars 2017 à 7 h 32 min
    • Répondre

    Bonjour,

    Je me reconnais dans le dernier exemple du manager avec son collaborateur en résistance. Je me retrouve dans les tentatives du manager qui essaie d’affirmer son leadership par la force :) par contre, j’ai essayé la solution du lâcher prise en ne contrôlant plus les faits et gestes du collaborateur, ne recadrant plus… et malheureusement la situation s’est empirée: mon collaborateur s’est du coup senti pousser des ailes et s’affirme encore plus vis à vis des autres collaborateurs qui vivent mal la situation, de plus en plus de clients se plaignent de ses agissements, des erreurs faites… Je ne sais plus quoi faire.

    • Blandine sur 6 novembre 2015 à 9 h 20 min
    • Répondre

    Cet article est vraiment intéressant.
    Je m’intéresse particulièrement aux points communs qu’il y a dans le management et l’éducation des enfants et on est là dans un exemple typique: on s’entête à répéter 10 fois les mêmes choses parce que dans NOTRE système, les choses doivent fonctionner de cette manière.
    Le fait d’être le chef ou le parent nous donne l’illusion que notre position suffira à asseoir notre autorité. Alors qu’il suffit juste de changer de point de vue et changer de méthode pour mieux faire passer nos idées.

      • Karine sur 6 novembre 2015 à 11 h 01 min
      • Répondre

      Bonjour Blandine, merci de votre commentaire. Effectivement les parallèles entre management et éducation des enfants sont nombreux et instructifs. Peut-être connaissez-vous les travaux d’Emmanuel Piquet notamment sur la souffrance scolaire et l’éducation des enfants ? http://www.huffingtonpost.fr/emmanuelle-piquet/

    • Kassim sur 17 mai 2013 à 10 h 01 min
    • Répondre

    Bonjour.
    En fait c’est notre tentative même de la résolution qui fait qu’il y a toujours problème ,c’est similaire à celle d’une personne qui se trouve entrainée par un tourbillon ,et plus elle essaie d’en sortir , plus elle s’enfonce.
    Il faut donc corriger la solution pour résoudre le problème .
    Excellent article et merci pour le partage.

      • Karine sur 18 mai 2013 à 12 h 56 min
      • Répondre

      Merci Kassim !
      Effectivement la solution (tentative d’en trouver une au moins) est devenue le problème. Pas toujours simple de s’en rendre compte car l’approche est contre-intuitive.

    • Virginie sur 19 avril 2013 à 16 h 46 min
    • Répondre

    Actuellement en formation de coach, je planche sur mon mémoire de fin d’année et explore les résistances comme freins ou leviers du coaching…Votre site m’aide à construire ma réflexion….Et cet article me fait sourire particulièrement: en effet, je suis également maman, et récemment tombée sur cet article de blog (http://ginylle.blogspot.fr/2013/04/allo-houston-nous-avons-un-probleme.html) où il semblerait que la photo recherchée soit enfin trouvée :)

    1. Bonjour Virginie

      Ravie que mes articles vous soient utiles, merci pour le lien vers la photo qui, effectivement, est la photo tant recherchée !
      Elle apporte même une subtilité supplémentaire puisqu’ici pas besoin d’entêtement, la « mauvaise » solution fonctionne contre toute attente ;)

      Bonne formation et bon mémoire !

    • Karine sur 15 novembre 2012 à 11 h 54 min
    • Répondre

    @Eugenie Super ! Bon paradoxe alors ;) vous nous direz comment vous avez évolué par rapport à cette situation?

    @Christophe Je viens de lire ton article très complet, merci de l’avoir partagé ici :)

    @Béranger Jean Comme le dit très justement Carine dans son commentaire, l’idée n’est pas d’appliquer des recettes paradoxales trouvées par d’autres, mais de regarder la situation avec un œil neuf (le sien). Bonne réflexion sur votre problème de réunions !

    @Carine Merci de ton partage, c’est toujours un plaisir de te lire !
    Le nombre d’occurrences nécessaires est un indicateur intéressant, il objective le « toujours plus ». Pour prévenir ces répétitions tu écoutes les signaux faibles, comment t’y prends-tu ? Par exemple tu portes ton attention sur le non verbal d’une personne à qui tu demandes de faire quelque chose, pour déceler que tu vas devoir t’y prendre à plusieurs fois pour qu’elle passe à l’action ? Quel genre de signaux faibles ?
    C’est très drôle que tu parles de « il faut être deux pour tirer » car j’ai failli mettre la photo d’un cavalier braqué sur ses rênes, puis je me suis dit que je n’avais pas envie de cette image sur mon blog. C’est effectivement une expérience « dans les muscles » du « toujours plus de la même chose », que peut faire (malheureusement) tout cavalier.

    @Jean-Luc Merci de la précision !

      • Carine sur 15 novembre 2012 à 18 h 57 min
      • Répondre

      Quand je parle de signaux faibles, je ne pense pas à l’intégration du non verbal pendant une discussion, mais plutôt à la prise en compte des sensations diffuses qu’on a après certaines situations. Genre pas complètement satisfaite mais sans savoir dire pourquoi précisément. Si je ne cherche pas à ce moment là à savoir ce qui m’a gênée, je vais imperceptiblement avoir moins d’allant sur la prochaine discussion similaire, et je ne percuterai sur le fait qu’il y a quelque chose qui ne me convient pas qu’au bout de 3 ou 5 répétitions. ça demande alors des ajustements plus importants, éventuellement plus « visibles » -et pas forcément toujours agréables – pour l’interlocuteur.

    • Jean-Luc sur 14 novembre 2012 à 22 h 40 min
    • Répondre

    Watzlawick disait aussi : quand le problème , c’est la solution !

    • Carine sur 14 novembre 2012 à 19 h 31 min
    • Répondre

    je dis chapeau pour la limpidité de la présentation.

    Le point vraiment important ici n’est pas de prendre les exemples donnés au pied de la lettre comme la recette des « bonnes » choses à faire, mais de se forcer à remettre en question une façon de faire qui n’apporte pas le résultat attendu, même si elle a donné des bons résultats dans plusieurs cas passés.

    Donc oui, il m’arrive de faire toujours plus de la même chose, jusqu’à ce que je m’en rende compte ;)
    En fait, la question est pour moi est le nombre d’occurrences nécessaires avant que je me rende compte qu’il y a une répétition. Je dirai que plus j’écoute les signaux faibles, moins il y a besoin d’occurrences, mais ce n’est pas si évident que ça à mettre en pratique.

    Pour reprendre ton image équestre, quand je trainais dans les écuries, j’entendais dire « pour tirer, il faut être 2 ».

    • BELLA Béranger Jean sur 14 novembre 2012 à 12 h 39 min
    • Répondre

    Bonjour Carine;
    Félicitation pour cet article, je suis entrain de voir cela en pratique chez moi et surtout la tenue d’une réunion qui pourra amener les gens à être dorénavant à l’heure.

    A bientôt.

    • Christophe sur 14 novembre 2012 à 8 h 49 min
    • Répondre

    Bonjour Karine
    J’adore cette approche issue du courant de Palo Alto. Elle me semble être l’un des piliers fondamentaux dans tout processus de développement ou de changement.

    Quant à l’image, j’avais écrit un billet sur ce thème il y a quelques mois. je me permets de partager le lien vers le billet pour que tes lecteurs et toi puissiez la voir.

    https://www.leblogdesrapportshumains.fr/plus-ca-change-moins-ca-change/

    A bientôt
    Christophe

    • Eugénie sur 13 novembre 2012 à 10 h 51 min
    • Répondre

    Merci Karine, cet article tombe à pic pour moi qui tente depuis des années de sortir d’une situation vraiment stressante…
    MERCI!

    • Serge Meunier sur 13 novembre 2012 à 9 h 24 min
    • Répondre

    Bonjour Karine

    Très intéressant article et notamment, une fois perçu le cercle vicieux, l’idée de pointer le vecteur commun par rapport auquel se positionner différemment afin d’en « sortir ». Donc merci pour cet éclairage.

    J’ai juste envie d’ajouter qu’il existe des situations où notre persévérance reste de mise malgré l’échec, à la nuance près qu’il agit des constructions de longue haleine. Dans ces cas, bien sûr, le vécu ne sera pas le même si l’on sait se fier au ressenti de l’intuition.

    Amicalement, Serge

      • Karine sur 13 novembre 2012 à 10 h 11 min
      • Répondre

      Bonjour Serge

      Merci de votre commentaire.

      Très juste, parfois la persévérance peut payer. J’ai failli le mentionner dans cet article et finalement j’ai opté pour un autre article qui traitera de la question « comment savoir quand insister et quand lâcher prise? ».

      Je trouve aussi l’idée du vecteur commun assez puissante, le trouver nécessite une vue d’ensemble de la situation, dans l’espace et dans le temps.

      Amitiés,
      Karine

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